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Éclairage sur le mécanisme du « lissage » du déplafonnement

La loi dite « Pinel » du 18 juin 2014 a introduit le mécanisme du lissage du déplafonnement du loyer de renouvellement, lequel s’applique à tous les baux conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014.

Rappelons que, pour atténuer les conséquences des augmentations de ce loyer déplafonné qui pouvaient être trop brutales et donc préjudiciables à un commerce, le législateur a instauré un lissage de ce nouveau loyer, afin que, chaque année, l’augmentation ne soit pas supérieure à 10% du loyer acquitté au cours de l’année précédente.

Rappelons que, pour atténuer les conséquences des augmentations de ce loyer déplafonné qui pouvaient être trop brutales et donc préjudiciables à un commerce, le législateur a instauré un lissage de ce nouveau loyer, afin que, chaque année, l’augmentation ne soit pas supérieure à 10% du loyer acquitté au cours de l’année précédente.

Dans un avis en date du 9 mars 2018, la Cour de Cassation s’est prononcée sur le régime juridique de ce lissage et sur ses modalités d’application.

C’est, à notre connaissance, la première fois que la Cour de Cassation est saisie par le juge des loyers pour donner son avis en matière de baux commerciaux.
Nous aborderons donc dans cette étude les enseignements tirés de cet avis et leurs conséquences pratiques sur nos baux à renouveler.

Quel est, tout d’abord, le champ d’application de ce lissage ?

Précisons que le lissage ne s’applique qu’en cas de déplafonnement du loyer renouvelé et pour les motifs suivants :
- Les motifs de déplafonnement découlant d’une modification notable des éléments de la valeur locative (des caractéristiques du local, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties, ou des facteurs locaux de commercialité),
- Le motif de déplafonnement résultant de la durée contractuelle du bail initial supérieure à neuf ans.

Aussi, la Cour de Cassation confirme que le champ d’application du lissage est restreint et qu’il ne s’applique pas au cas de déplafonnement résultant de la tacite prolongation du bail au-delà de douze années, ni au déplafonnement résultant des locaux monovalents ou des locaux à usage exclusif de bureaux ; ce qui, à notre sens, apparaît regrettable, dès lors que les conséquences n’en sont pas moins redoutables pour le commerçant.

Fort de ce premier constat, le locataire pourrait désormais avoir intérêt à invoquer le déplafonnement sur le fondement d’un motif déclenchant le lissage.

Comment, ensuite, calculer le lissage ?

La Cour de Cassation fait une application rigoureuse du mécanisme et précise que l’étalement s’effectue, annuellement, par application d’un taux de majoration qui doit être égal à 10%, et calculé sur la base du loyer de l’année précédant le renouvellement du bail.

Ainsi, dans le cadre de l’application stricte de la loi, il faut retenir que le taux de 10% n’est pas un taux plafond mais un taux fixe et non modulable.

Naturellement, l’augmentation sera inférieure lorsque la différence entre la valeur locative restant à atteindre et le loyer de l’année en cours est inférieure à ce taux.

Aussi, si nous partons d’un exemple de bail à renouveler, dont le loyer de la dernière année du bail expiré est de 50.000€, et qui doit être déplafonné à compter du 1er janvier 2019 à la valeur locative fixée à 150.000€, les paliers s’appliqueront de la manière suivante :

Loyer 2019 : 50.000€ x 1,10 = 55.000€
Loyer 2020 : 55.000€ x 1,10 = 60.500€
Loyer 2021 : 60.500€ x 1,10 = 66.550€
Loyer 2022 : 66.550€ x 1,10 = 73.205€
Loyer 2023 : 73.205€ x 1,10 = 80.525,50€
Loyer 2024 : 80.525,50€ x 1,10 = 88.578,05€
Loyer 2025 : 88.578,05€ x 1,10 = 97.435,85€
Loyer 2026 : 97.435,85€ x 1,10 = 107.179,44€
Loyer 2027 : 107.179,44€ x 1,10 = 117.897,38€

Dès lors, nous constatons que, si la valeur locative n’est pas atteinte en application de ces paliers, le loyer du déplafonnement ne sera, en pratique, jamais payé au cours du bail renouvelé.

Dans un tel cas, il y aura donc une dichotomie entre le loyer réellement appliqué et le loyer équivalent à la valeur locative qui pourra donc n’être que théorique.

Par ailleurs, l’avis de la Cour de Cassation ne nous renseigne pas sur la question de savoir si l’indexation contractuelle pourrait s’appliquer cumulativement avec ces paliers, de même qu’avec le mécanisme de la révision triennale, surtout si le lissage demeure applicable pendant toute la durée du bail.

Dès lors, quel est le loyer qui servira de référence lors du prochain renouvellement du bail : le loyer théorique ou le loyer effectivement payé ?

La Cour de Cassation confirme que le loyer qui servira de base pour le renouvellement suivant, restera le loyer théorique correspondant à la valeur locative, abstraction faite des paliers annuels, même si cette valeur locative n’a jamais été appliquée au cours du bail. Ainsi, le bailleur aura la possibilité de « rattraper » cette valeur locative du loyer déplafonné, dès le bail suivant. Il faut dire qu’il n’aura pas perçu l’intégralité des loyers qui auraient pu être exigibles en fonction de cette valeur locative, tant que leur augmentation au cours du bail excède ces 10%.

Et sinon, qui est compétent pour fixer les modalités pratiques de ce lissage ?

Dans cet avis, et suivant la même logique, la Cour de Cassation précise que le lissage ne concerne que les modalités du paiement du loyer et non le principe de sa fixation à la valeur locative. C’est pourquoi elle indique que le juge des loyers reste compétent pour la fixation du loyer de renouvellement (valeur locative ou plafonnement) et que c’est le Tribunal de Grande Instance qui sera compétent pour déterminer les modalités du lissage en cas de déplafonnement. Cette séparation des compétences juridictionnelles, qui traduit une volonté du juge des loyers de ne pas s’encombrer des modalités pratiques de ce lissage, risque de générer de nombreuses complications procédurales.

Enfin, les parties peuvent-elles déroger à ce mécanisme du lissage ?

L’avis précise également que l’étalement n’étant pas d’ordre public, les parties peuvent y déroger et convenir qu’il ne sera pas applicable. La Cour semble même inviter les parties à s’entendre, dès lors qu’elle indique qu’il revient aux parties « d’établir l’échéancier de l’augmentation progressive du loyer que le bailleur est en droit de percevoir » et que les parties «peuvent convenir de ne pas l’appliquer ».

Ainsi, - soit, les parties dérogent à l’avance au mécanisme de l’étalement, en prévoyant dans le bail d’origine, ou par avenant, que le loyer du bail renouvelé sera fixé à la valeur locative sans possibilité d’étalement. A cet égard, nous savions déjà que les parties pouvaient déroger au principe même du déplafonnement. La Cour de Cassation confirme donc qu’elles peuvent aussi déroger au lissage et valide dès lors les clauses « anti-lissage ».

Soit, malgré l’absence de clause spécifique dans le bail initial, les parties conviennent, d’un commun accord, lors de l’application de ce loyer de renouvellement, de ne pas appliquer le lissage de 10%, voire même de moduler ce taux.

Il faut rappeler que l’accord des parties sera toujours souverain en matière de fixation de ce loyer de renouvellement, et que ces dernières pourront toujours déroger, à quelque moment que ce soit, aux dispositions légales.

En conclusion, le dispositif du lissage du déplafonnement a été mis en place par le législateur dans le dessein de protéger les locataires mais, en pratique, nous constatons que son application pourrait conduire à des difficultés procédurales dont certaines pourraient même être, in fine, préjudiciables aux deux parties.

De plus, il reste à savoir si la prescription biennale sera applicable à l’action du locataire visant à solliciter le lissage de son loyer déplafonné, dès lors que ce mécanisme relève du statut des baux commerciaux même s’il se distingue de l’action en fixation du loyer de renouvellement.

En tout état de cause, les parties ont intérêt à s’accorder sur les modalités de ce lissage et à convenir amiablement de leur échéancier, car ce sont bien elles, plus encore que le juge, qui peuvent apprécier les impacts de ces augmentations de loyers en regard de leur situation économique respective.

Karine MATHOU
article paru dans "La Tour Immo"
Le Mag n°9, Mai 2019

 

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